« Limitée au contexte de l’Europe occidental, et focalisée quelques uns des principaux pays de cette région du monde, cette journée d’étude ne fait que commencer à déchiffrer un vaste ensemble de questions : dans quelle mesure la catégorie de "cadres" demeure-t-elle une particularité nationale française ? Autre face de la même question, peut-on – et si oui dans quelle mesure – parler de "cadres " dans les pays voisins, sans céder à une sorte d’ethno-centrisme franco-français ? Si de stricts équivalents de cette catégorie et de cette notion françaises sont introuvables, ne peut-on pas tout de même décrire les grandes caractéristiques et évolutions de populations comparables jusqu’à un certain point, par exemple celles que l’on désigne comme membres du professional and managerial staff (professionnels et managers) au Royaume Uni, ou comme leitenden Angestellen (employés supérieurs et dirigeants) en Allemagne ? Ces évolutions sont-elles convergentes ? Quel rôle jouent les politiques de gestion de ressources humaines des entreprises – notamment des firmes multinationales –, la construction européenne, les organisations européennes de "cadres" dans ces évolutions ? N’assiste-t-on pas à une tension croissante entre, d’une part, les efforts d’origine syndicale pour étendre ou conforter la reconnaissance institutionnelle – tout particulièrement au plan du droit du travail et des conventions collectives – d’un fait "cadre", et, d’autre part, les effets des nouveaux modes de management, qui tendent à individualiser la relation d’emploi des salariés hautement qualifiés ? Qu’en résulte-t-il du point de vue des modes de représentation sociale des agents sociaux concernés ?
Ces questions soulèvent en effet une difficulté préalable majeure, à laquelle a tenté d’apporter une réponse originale l’approche sociétale fondée au LEST dans les années 1970 : "Comment comparer l’incomparable ?" (Maurice, 1989). Car si l’on refuse à la fois la perspective "universaliste", selon laquelle les nations ne forment que des contextes de spécification d’ "équivalents fonctionnels", et la perspective culturaliste, qui, mettant l’accent sur les discontinuités radicales d’un pays à l’autre interdit une véritable comparaison, reste à restituer à chaque fois le système global d’interactions "sociétal" seul à même de fournir une grille d’intelligibilité donnant sens aux "particularités" mises en comparaison. Cette perspective n’est pas explicitement présente dans la plupart des contributions qui suivent, mais elles permettent de la tracer : plus directement à partir des textes transversaux aux situations nationales, d’E. Mermet et de S. Pochic ; plus indirectement, à partir de la présentation des cas belge (M. De Troyer et E. Martinez), allemand (H. Lange), espagnol (C. Prieto) et britannique (S. Jefferys).
Les échanges mêlent des précisions ou des éclaircissements sur les exposés présentés et nombre de réflexions touchant à la question posée plus haut : dans quelle mesure est-il légitime de parler des "cadres" en dehors du cas français ? Mais on peut aller plus loin en se demandant dans quelle mesure la force et la convergence des transformations observées un peu partout dans la morphologie et la condition sociales des franges "qualifiés" ou "professionnelles" du salariat n’interrogent-elles pas la pertinence de la notion de cadre en France même ? » (Paul Bouffartigue)
Cahier n°12 : Actes de la douzième journée d'étude du GDR Cadres organisée par le centre de recherche "Organisations, Carrières et nouvelles Élites" de l'École de management de Lyon (OCE-EM Lyon), à Écully, le 15 décembre 2006.
« Après une rapide introduction de la journée et des concepts par Françoise Dany, l’accent a été mis sur Les formes collectives de la résistance. Elles ont été évoquées à travers une intervention de Tanguy Cornu et de Guy Groux sur le thème « L’action collective, un cadrage historique : le savoir, la gestion, l’expression, sources de rébellion ? », ainsi qu’à travers une intervention de Cécile Guillaume et de Sophie Pochic traitant de « L’engagement syndical des cadres : un mode de résistance singulier ? Le cas de la CFDT ».
Une seconde série d’interventions a permis de rendre compte de réponses plus individuelles des cadres. Cet éclairage relatif à la résistance au quotidien a permis d’aborder les 3 thèmes suivants : 1/ Face aux incohérences du modèle productif : du retrait à l’affaiblissement de l’organisation du travail, 2/ Résister, mais à quoi ? De quelques formes et modalités de résistance dans l’encadrement : du singulier au général et vice-versa, 3/ Résistances et consentement des cadres au travail. Ces thèmes ont été développés respectivement par Olivier Cousin, Frédéric Mispelblom Beyer et Gaëtan Flocco et discutés par Paul Bouffartigue.
La troisième partie de la journée questionnait la possibilité de modèles alternatifs de management. Une première table ronde animée par André Grelon a permis de réunir les témoignages d’un représentant du Mouvement Chrétien des Cadres Dirigeants (Christian Ginot), d’une DRH (Frédérique Saint-Olive), d’une consultante (Geneviève Blanchard-Vialle) et d’une doctorante spécialisée dans la gouvernance des fondations (Anke Wolff-Scardin). Il s’agissait d’identifier les possibilités et les difficultés de développer des pratiques alternatives. Cette table ronde a été complétée par deux témoignages s’intéressant aux rôles possibles des cadres dans le développement de la responsabilité sociale de leur entreprise. Frank Azimont a interrogé : Quelle lecture possible de l’engagement des cadres dans le développement d’un nouveau modèle économique au sein d’une multinationale de l’agro-alimentaire ? Bertrand Valiorgue, quant à lui, a fait part des résultats de son travail de thèse consacré au rôle des middle-managers dans l’émergence de pratiques responsables. » (Synthèse reprise de l'introduction de Françoise Dany.)