« Entreprenant collectivement une réflexion sur l’évolution actuelle du groupe social des cadres, il nous était apparu utile de porter un regard sur les travaux qui avaient été effectués antérieurement, et notamment durant la période “glorieuse” de la sociologie des cadres, dans les années 1970 et 1980. En même temps, c’était aussi une manière de rendre hommage aux pionniers, ceux qui ont ouvert le champ, déjà de façon un peu isolée au milieu des années 50, puis à partir de la deuxième moitié de la décennie 60, à un moment où la question des cadres était considérée comme un sujet mineur, hors des grands débats de la discipline sur l’évolution de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier ou sur les transformations du patronat et du capital. Nous avons essayé de rassembler dans cette journée d’études des collègues qui, chacun dans leur domaine, ont apporté un éclairage bienvenu pour décrire le groupe des cadres et en comprendre le fonctionnement, et dont l’apport a nourri les débats, parfois vifs, qui accompagnaient le développement des recherches sur les cadres. Tous ont accepté de venir et de parcourir à nouveau les étapes de leurs travaux, en portant un regard distancié sur les résultats qu’ils avaient alors présentés. Cette analyse par les acteurs eux-mêmes de leur production, mise en perspective avec les questions qui se posent aujourd’hui, fait évidemment toute la richesse de ce volume. Les participants ne s’y sont pas trompés, à lire les échanges qui suivent chaque intervention.
Les chercheurs qui ont œuvré dans le champ des sciences sociales sur le groupe des cadres sont nombreux et, malheureusement, tous n’ont pu participer à ce débat. En outre, deux de nos invités n’ont pu être des nôtres pour des raisons indépendantes de leur volonté. Il aurait été dommage de ne pouvoir bénéficier de leur témoignage, compte tenu de l’importance et du retentissement de leurs travaux, chacun dans un registre différent. Jean Dubois a porté le débat sur les cadres très tôt sur la place publique et ses nombreux articles dans des revues comme L’Expansion, Projet, ses livres, ses interventions dans les entreprises ont été autant de contributions remarquées pour le caractère pénétrant, voire incisif de ses analyses. Quant à Luc Boltanski, est-il désormais besoin de présenter son travail sur Les cadres. La formation d’un groupe social ? On sait encore le véritable choc qu’a provoqué ce livre dont les thèses interpellaient l’ensemble des chercheurs travaillant sur ce champ, et bien au-delà. Qu’on ait été d’accord ou non avec ses conclusions, l’ouvrage de Boltanski devenait une référence incontournable. L’un et l’autre ont accepté de se prêter au jeu de l’interview : je tiens à les en remercier. Il serait, du reste, sans doute intéressant de reprendre cette formule à propos d’autres chercheurs ayant travaillé dans le domaine et de compléter ainsi, progressivement, cet "historique" de la sociologie des cadres. » (André Grelon)
« La féminisation de l’encadrement et des professions intellectuelles supérieures s’est intensifiée depuis une quinzaine d’années, allant de pair avec le développement de la présence des filles dans l’enseignement supérieur. Le résultat de cette évolution est complexe dans la mesure où il résulte d’une double histoire ; celle de la féminisation des professions et celle de l’évolution propre de ces mêmes professions. Ce processus doit être situé dans la dynamique même des changements de la catégorie et de l’évolution de son statut dans l’entreprise et dans la société. L'augmentation du nombre des cadres et des ingénieurs, le rôle croissant du diplôme dans l’accès à cette catégorie, son hétérogénéité croissante - entre cadres moyens, supérieurs et dirigeants -, le développement des fonctions d’expertise au regard des fonctions d’encadrement, les débats sur le temps de travail et l’expérience du chômage ont contribué à remettre en cause l’unité de la catégorie et à la "banaliser" et, pour une part, à "déstabiliser" le statut social et professionnel des cadres et ingénieurs.
Ces évolutions ont eu lieu parallèlement à la féminisation et certaines d’entre elles ont pu lui apparaître propices. Le rôle du diplôme dans l’accès à la catégorie, la diversité croissante des modèles de carrière, ou le développement des fonctions d’expertise, peuvent être considérées comme autant d’évolutions structurelles favorables à la féminisation. Les débats sur le temps de travail questionnent le modèle de "disponibilité totale" caractéristique jusque là des cadres masculins.
Mais l’analyse du processus de féminisation des cadres doit s’attacher à comprendre la construction des inégalités – de salaires, de carrières, d’accès aux positions de pouvoir et de prestige – et les processus de ségrégation verticale et horizontale – qui accompagnent la progression des femmes. Ces processus sont le plus souvent renvoyés aux effets de l’articulation entre carrière professionnelle et espace familial mais peuvent être aussi reliés à diverses dimensions des politiques de gestion de carrière mises en œuvre dans les entreprises. Ainsi, l’analyse comparée des carrières masculines et féminines révèle l’effet de la généralisation des couples à deux actifs – et souvent de deux actifs cadres – et incite à introduire les interactions conjugales dans l’explication des processus de carrière. Les politiques de gestion de carrière contribuent à construire les inégalités dans les parcours et contenus d’emploi des femmes et des hommes cadres et ingénieurs. On doit ainsi s’interroger sur la manière dont ces politiques intègrent le statut familial des cadres mais aussi sur la nature des normes qui définissent les "compétences managériales", le "potentiel", la "disponibilité", le contenu même de ces normes pourrait contribuer à construire des parcours différenciés entre les cadres, et plus spécifiquement entre les cadres masculins et féminins.
Enfin, la mobilité, quelles que soient ses formes est en passe de devenir une valeur essentielle pour les entreprises et pour les cadres eux-mêmes. Les femmes sont de plus en plus "aptes" à la mobilité. Mais elles restent encore très largement sous représentées parmi les cadres supérieurs et internationaux : qu’en sera-t-il demain dans un contexte d’internationalisation croissante et de globalisation ? Toutes ces questions devraient être appréhendées dans le cadre de comparaisons internationales qui permettraient de préciser la diversité des modèles de féminisation des cadres et des professions. » (Jacqueline Laufer et Catherine Marry)
Introduction générale aux journées : “Les cadres : un groupe social en voie d’éclatement ?”, Paul Bouffartigue - p 17
La crise d’un salariat de confiance, Paul Bouffartigue – p. 21
Les sciences sociales et les “ cadres ” : regard rétrospectif, Marc Maurice – p. 31
Les relations cadres-entreprises sur la voie d’un divorce, Gérard Regnault – p. 39
Retour sur “ l’invention ” des cadres, André Grelon – p. 47
Introduction, Claude Paraponaris – p. 51
Introduction, Paul Bouffartigue – p.143
Introduction, Anne-Marie Daune-Richard – p.223
Introduction, Robert Tchobanian – p.303
Introduction et éléments de problématique
Annexe I - Liste des participants – p.377
Annexe II – Questionnaire – p.385
Annexe III - Synthèse des questionnaires d’évaluation de fin de session – p.391