« La féminisation de l’encadrement et des professions intellectuelles supérieures s’est intensifiée depuis une quinzaine d’années, allant de pair avec le développement de la présence des filles dans l’enseignement supérieur. Le résultat de cette évolution est complexe dans la mesure où il résulte d’une double histoire ; celle de la féminisation des professions et celle de l’évolution propre de ces mêmes professions. Ce processus doit être situé dans la dynamique même des changements de la catégorie et de l’évolution de son statut dans l’entreprise et dans la société. L'augmentation du nombre des cadres et des ingénieurs, le rôle croissant du diplôme dans l’accès à cette catégorie, son hétérogénéité croissante - entre cadres moyens, supérieurs et dirigeants -, le développement des fonctions d’expertise au regard des fonctions d’encadrement, les débats sur le temps de travail et l’expérience du chômage ont contribué à remettre en cause l’unité de la catégorie et à la "banaliser" et, pour une part, à "déstabiliser" le statut social et professionnel des cadres et ingénieurs.
Ces évolutions ont eu lieu parallèlement à la féminisation et certaines d’entre elles ont pu lui apparaître propices. Le rôle du diplôme dans l’accès à la catégorie, la diversité croissante des modèles de carrière, ou le développement des fonctions d’expertise, peuvent être considérées comme autant d’évolutions structurelles favorables à la féminisation. Les débats sur le temps de travail questionnent le modèle de "disponibilité totale" caractéristique jusque là des cadres masculins.
Mais l’analyse du processus de féminisation des cadres doit s’attacher à comprendre la construction des inégalités – de salaires, de carrières, d’accès aux positions de pouvoir et de prestige – et les processus de ségrégation verticale et horizontale – qui accompagnent la progression des femmes. Ces processus sont le plus souvent renvoyés aux effets de l’articulation entre carrière professionnelle et espace familial mais peuvent être aussi reliés à diverses dimensions des politiques de gestion de carrière mises en œuvre dans les entreprises. Ainsi, l’analyse comparée des carrières masculines et féminines révèle l’effet de la généralisation des couples à deux actifs – et souvent de deux actifs cadres – et incite à introduire les interactions conjugales dans l’explication des processus de carrière. Les politiques de gestion de carrière contribuent à construire les inégalités dans les parcours et contenus d’emploi des femmes et des hommes cadres et ingénieurs. On doit ainsi s’interroger sur la manière dont ces politiques intègrent le statut familial des cadres mais aussi sur la nature des normes qui définissent les "compétences managériales", le "potentiel", la "disponibilité", le contenu même de ces normes pourrait contribuer à construire des parcours différenciés entre les cadres, et plus spécifiquement entre les cadres masculins et féminins.
Enfin, la mobilité, quelles que soient ses formes est en passe de devenir une valeur essentielle pour les entreprises et pour les cadres eux-mêmes. Les femmes sont de plus en plus "aptes" à la mobilité. Mais elles restent encore très largement sous représentées parmi les cadres supérieurs et internationaux : qu’en sera-t-il demain dans un contexte d’internationalisation croissante et de globalisation ? Toutes ces questions devraient être appréhendées dans le cadre de comparaisons internationales qui permettraient de préciser la diversité des modèles de féminisation des cadres et des professions. » (Jacqueline Laufer et Catherine Marry)