Les chercheurs qui ont œuvré dans le champ des sciences sociales sur le groupe des cadres sont nombreux et, malheureusement, tous n’ont pu participer à ce débat. En outre, deux de nos invités n’ont pu être des nôtres pour des raisons indépendantes de leur volonté. Il aurait été dommage de ne pouvoir bénéficier de leur témoignage, compte tenu de l’importance et du retentissement de leurs travaux, chacun dans un registre différent. Jean Dubois a porté le débat sur les cadres très tôt sur la place publique et ses nombreux articles dans des revues comme L’Expansion, Projet, ses livres, ses interventions dans les entreprises ont été autant de contributions remarquées pour le caractère pénétrant, voire incisif de ses analyses. Quant à Luc Boltanski, est-il désormais besoin de présenter son travail sur Les cadres. La formation d’un groupe social ? On sait encore le véritable choc qu’a provoqué ce livre dont les thèses interpellaient l’ensemble des chercheurs travaillant sur ce champ, et bien au-delà. Qu’on ait été d’accord ou non avec ses conclusions, l’ouvrage de Boltanski devenait une référence incontournable. L’un et l’autre ont accepté de se prêter au jeu de l’interview : je tiens à les en remercier. Il serait, du reste, sans doute intéressant de reprendre cette formule à propos d’autres chercheurs ayant travaillé dans le domaine et de compléter ainsi, progressivement, cet "historique" de la sociologie des cadres. » (André Grelon)
]]>Ces questions soulèvent en effet une difficulté préalable majeure, à laquelle a tenté d’apporter une réponse originale l’approche sociétale fondée au LEST dans les années 1970 : "Comment comparer l’incomparable ?" (Maurice, 1989). Car si l’on refuse à la fois la perspective "universaliste", selon laquelle les nations ne forment que des contextes de spécification d’ "équivalents fonctionnels", et la perspective culturaliste, qui, mettant l’accent sur les discontinuités radicales d’un pays à l’autre interdit une véritable comparaison, reste à restituer à chaque fois le système global d’interactions "sociétal" seul à même de fournir une grille d’intelligibilité donnant sens aux "particularités" mises en comparaison. Cette perspective n’est pas explicitement présente dans la plupart des contributions qui suivent, mais elles permettent de la tracer : plus directement à partir des textes transversaux aux situations nationales, d’E. Mermet et de S. Pochic ; plus indirectement, à partir de la présentation des cas belge (M. De Troyer et E. Martinez), allemand (H. Lange), espagnol (C. Prieto) et britannique (S. Jefferys).
Les échanges mêlent des précisions ou des éclaircissements sur les exposés présentés et nombre de réflexions touchant à la question posée plus haut : dans quelle mesure est-il légitime de parler des "cadres" en dehors du cas français ? Mais on peut aller plus loin en se demandant dans quelle mesure la force et la convergence des transformations observées un peu partout dans la morphologie et la condition sociales des franges "qualifiés" ou "professionnelles" du salariat n’interrogent-elles pas la pertinence de la notion de cadre en France même ? » (Paul Bouffartigue)
]]>Une première série de ces papiers traite des voies de la modernisation des entreprises. La communication de M. Coster et de B. Moreau se centrent sur les transformations en cours qui se traduisent concrètement par le développement de structures spécifiques. La première rappelle que le phénomène entrepreneurial ne se limite pas à la création ni à la reprise d’entreprises indépendantes, et pointe différentes formes de la création d’entreprise à l’intérieur de structures déjà existantes. B. Moreau expose quelques manifestations concrètes de la tentative d’introduction chez France Télécom de "l’esprit d’entreprendre". Il souligne les enjeux et difficultés liés au développement de l’entrepreneuriat dans des structures confrontées à des défis technologiques d’une part, mais aussi à des enjeux financiers. Les autres papiers se rapportant à la modernisation des entreprises s’intéressent à des transformations plus diffuses. Évolutions des rôles de managers dans des organismes publiques - encadrants des villes, secteur public québécois. M. Buscatto rend compte quant à elle de l’évolution du rôle d’encadrant dans trois sociétés d’assurance. La communication de G. Minguet et F. Osty consacrée à la carrière des ingénieurs s’attache à deux histoires d’entreprise.
La question de la crédibilité que l’on peut accorder aux discours consacrés à l’évolution des organisations et au développement de carrières plus entrepreneuriales est plus précisément au cœur de la seconde série d’interventions. P-G. Hourquet et A. Roger s’emploient à montrer que si le nombre des ingénieurs impliqués ou souhaitant s’engager dans une carrière entrepreneuriale est faible, cette filière constitue néanmoins une évolution possible pour cette population à ne pas sous-estimer. Y-F. Livian traite quant à lui des pratiques de rémunération des cadres.
Les deux dernières communications cherchent davantage à pointer les raisons de l’engouement pour les notions d’intrapreneuriat ou d’entrepreneuriat. E. Roussel propose de voir dans le recours à la notion d’intrapreneuriat une tentative d’occultation d’un rapport de subordination qui permet en particulier de passer sous silence la question pourtant fondamentale du "comment" réaliser le travail. C-C. Rüling s’efforce de montrer comment les modes managériales qui contraignent les managers les servent également. Elles leur permettent en particulier de donner du sens à leur action et leur donne de quoi alimenter une image d’eux-mêmes cohérente et valorisée. » (Françoise Dany)
]]>Ces évolutions ont eu lieu parallèlement à la féminisation et certaines d’entre elles ont pu lui apparaître propices. Le rôle du diplôme dans l’accès à la catégorie, la diversité croissante des modèles de carrière, ou le développement des fonctions d’expertise, peuvent être considérées comme autant d’évolutions structurelles favorables à la féminisation. Les débats sur le temps de travail questionnent le modèle de "disponibilité totale" caractéristique jusque là des cadres masculins.
Mais l’analyse du processus de féminisation des cadres doit s’attacher à comprendre la construction des inégalités – de salaires, de carrières, d’accès aux positions de pouvoir et de prestige – et les processus de ségrégation verticale et horizontale – qui accompagnent la progression des femmes. Ces processus sont le plus souvent renvoyés aux effets de l’articulation entre carrière professionnelle et espace familial mais peuvent être aussi reliés à diverses dimensions des politiques de gestion de carrière mises en œuvre dans les entreprises. Ainsi, l’analyse comparée des carrières masculines et féminines révèle l’effet de la généralisation des couples à deux actifs – et souvent de deux actifs cadres – et incite à introduire les interactions conjugales dans l’explication des processus de carrière. Les politiques de gestion de carrière contribuent à construire les inégalités dans les parcours et contenus d’emploi des femmes et des hommes cadres et ingénieurs. On doit ainsi s’interroger sur la manière dont ces politiques intègrent le statut familial des cadres mais aussi sur la nature des normes qui définissent les "compétences managériales", le "potentiel", la "disponibilité", le contenu même de ces normes pourrait contribuer à construire des parcours différenciés entre les cadres, et plus spécifiquement entre les cadres masculins et féminins.
Enfin, la mobilité, quelles que soient ses formes est en passe de devenir une valeur essentielle pour les entreprises et pour les cadres eux-mêmes. Les femmes sont de plus en plus "aptes" à la mobilité. Mais elles restent encore très largement sous représentées parmi les cadres supérieurs et internationaux : qu’en sera-t-il demain dans un contexte d’internationalisation croissante et de globalisation ? Toutes ces questions devraient être appréhendées dans le cadre de comparaisons internationales qui permettraient de préciser la diversité des modèles de féminisation des cadres et des professions. » (Jacqueline Laufer et Catherine Marry)
]]>Une seconde série d’interventions a permis de rendre compte de réponses plus individuelles des cadres. Cet éclairage relatif à la résistance au quotidien a permis d’aborder les 3 thèmes suivants : 1/ Face aux incohérences du modèle productif : du retrait à l’affaiblissement de l’organisation du travail, 2/ Résister, mais à quoi ? De quelques formes et modalités de résistance dans l’encadrement : du singulier au général et vice-versa, 3/ Résistances et consentement des cadres au travail. Ces thèmes ont été développés respectivement par Olivier Cousin, Frédéric Mispelblom Beyer et Gaëtan Flocco et discutés par Paul Bouffartigue.
La troisième partie de la journée questionnait la possibilité de modèles alternatifs de management. Une première table ronde animée par André Grelon a permis de réunir les témoignages d’un représentant du Mouvement Chrétien des Cadres Dirigeants (Christian Ginot), d’une DRH (Frédérique Saint-Olive), d’une consultante (Geneviève Blanchard-Vialle) et d’une doctorante spécialisée dans la gouvernance des fondations (Anke Wolff-Scardin). Il s’agissait d’identifier les possibilités et les difficultés de développer des pratiques alternatives. Cette table ronde a été complétée par deux témoignages s’intéressant aux rôles possibles des cadres dans le développement de la responsabilité sociale de leur entreprise. Frank Azimont a interrogé : Quelle lecture possible de l’engagement des cadres dans le développement d’un nouveau modèle économique au sein d’une multinationale de l’agro-alimentaire ? Bertrand Valiorgue, quant à lui, a fait part des résultats de son travail de thèse consacré au rôle des middle-managers dans l’émergence de pratiques responsables. » (Synthèse reprise de l'introduction de Françoise Dany.)
]]>L’ambition comparative est moins explicitement présente dans ce numéro. En même temps, tous les auteurs sont soumis à cette difficulté : essayer de traiter d’une catégorie dont l’institutionnalisation, la signification, et finalement la composition diffèrent plus ou moins profondément de la situation française, mais qui dans chaque cas présente néanmoins un certain nombre de traits similaires à celle-ci. S’il est pertinent de rassembler ces contributions et d’organiser autour d’elles les échanges scientifiques, c’est, au minimum, que des populations exerçant des fonctions professionnelles équivalentes à nos cadres existent dans ces pays, et y sont confrontés à des enjeux pour une part communs : rôle historiquement central de la figure de l’ingénieur (Espagne) ; tensions entre les formations et les emplois occupés (Grèce) ; développement des formations supérieures de type « tertiaire », tout comme le recul généralisé du « développementalisme » et/ou de la puissance publique et la montée des régulations économiques libérales. Au mieux, c’est que l’influence du modèle français s’est exercée, de manière plus ou moins directe ou diffuse, dans bon nombre des pays dont il est fait ici état : par la présence coloniale dans les trois pays du Maghreb et en Syrie ; par le rôle d’institutions de formation (Polytechnique pour le Maghreb ; autres institutions de formation pour le Portugal, le plus proche du cas français) ; par le rôle contemporain enfin de la circulation des élites au sein d’aires géographiques de plus en plus étendues.
Cette influence se retrouve a minima dans la traduction du mot « cadre » dans la langue indigène, mais sans qu’elle fasse l’objet d’une véritable réappropriation dans son usage vivant ni dans les représentations du monde social (Syrie). Elle peut aller jusqu’à la transposition directe du système français de classification socioprofessionnelle, ce dernier étant concurrencé partout par le modèle de la CITP (ISCO en anglais) sous influence anglo-saxonne (Algérie). Elle peut enfin se retrouver dans des modes de mobilisation sociopolitiques comparables à l’histoire française, le cas italien étant très suggestif, par ses ressemblances – l’importance d’une logique défensive dans un conjoncture de fortes luttes ouvrières – comme par ses différences – rôle de frein du patronat, rôle plus central des cadres dirigeants.
En voyageant dans ces pays d’Europe du Sud et des autres rives de la Méditerranée, le lecteur se convaincra en tous cas un peu plus de la nécessité de réinscrire en permanence sa réflexion sur les catégories sociales dans l’histoire de formations sociales toujours singulières mais jamais isolées des dynamiques et des flux technologiques, économiques et culturels." (Paul Bouffartigue et André Grelon)
]]>La matinée était consacrée aux thèses qui s’intéressent plus particulièrement à l’évolution de l’activité de travail des cadres. La question des outils de gestion appliqués à cette population, et particulièrement de la gestion par les objectifs, des contraintes qu’elles génèrent, de l’évaluation des résultats, de la légitimité du management a été abordée par plusieurs communications. La modification des métiers et des statuts a également été interrogée, à partir de la population des chercheurs en entreprise et du statut atypique des cadres intérimaires. De façon plus large, la matinée se clôturait sur l’effet de ces mutations des structures de production sur le rapport au travail des cadres et la manière dont les sciences sociales peuvent l’étudier.
L’après-midi a été centrée autour de la question de l’identité problématique de différents groupes professionnels, et pas seulement des ingénieurs, notamment autour de l’évolution de la fonction d’encadrement. Cette notion d’encadrement a été interrogée à partir d’enquêtes statistiques sur la frontière cadres / professions intermédiaires, ou à partir de l’étude de cadres d’un secteur particulier : l’éducation spécialisée. L’effet des modifications techniques sur l’identité professionnelle a également été évoqué à partir de l’exemple des créatifs de la publicité, entre création et commerce. La figure clé de cette catégorie sociale, les ingénieurs, a été abordée de manière originale soit à partir de l’enjeu de la transformation de la formation initiale (le cas des Ponts et Chaussées), soit à partir de l’épreuve du recrutement des jeunes diplômés. Enfin, une enquête ethnologique in situ nous a montré tout l’intérêt de s’intéresser à l’exception (les pratiques syndicales des cadres) pour mieux comprendre les valeurs et le rapport à l’entreprise des cadres en général." (Gilles Lazuech)
]]>Penser le travail des cadres L’encadrement des jeunes diplômés.
Les lignes d’évolution les plus récentes ont été éclairées par un clair panorama de l’évolution des flux d’ingénieurs brossé par Chantal Darsch, suivi de deux interventions qui abordent deux aspects majeurs de l’actualité des formations de cadres : la professionnalisation de l’enseignement supérieur, dont Colette Grandgérard est une des rares spécialistes, et l’internationalisation de la formation dans les grandes écoles, étudiée par l’équipe de Nantes.
Les problématiques de la formation sont inséparables de celles de l’emploi et l’insertion professionnelle. De nouveau, l’objectif était de diversifier les points de vue et l’on a donc articulé un intéressant bilan de l’insertion des diplômés du supérieur au niveau régional, dressé par Guillaume Folléa, avec l’échappée stimulante vers la Grèce apportée par Kyriaky Athanassouli, à propos du devenir professionnel des élèves de l’École polytechnique d’Athènes. Henri Eckert et Dominique Epiphane, ont mis en lumière la manière dont les évolutions de l’appareil de formation affectent le monde du travail en réduisant toujours plus la part des cadres autodidactes. La formation continue constitue à la fois une des façons de devenir ingénieur ou cadre et une nécessité pour les cadres en place, qui doivent actualiser et développer leurs connaissances. Hélène Stevens a présenté le cas d’un dispositif bien caractéristique des pratiques de formation en entreprise. Charles Gadéa et François Pottier évoquent les effets sur le salaire et la trajectoire professionnelle du diplôme d’ingénieur du Cnam, figure emblématique de la formation continue promotionnelle.
Ces Cahiers du GDR comprennent, en plus des textes et des débats des journées, un entretien avec une personnalité scientifique qui a marqué le domaine de la recherche sur les cadres. Nous n’y avons pas dérogé, et c’est Marc Maurice, figure majeure de la sociologie du travail française, qui nous fait part, dans un entretien réalisé par Paul Bouffartigue, de l’évolution de son œuvre et de son approche des cadres." (Charles Gadéa)
]]>La journée d’étude organisée par le Groupe de Recherche sur les Cadres du CNRS se propose ainsi d’aborder l’état des questions qui se posent dans le domaine des représentations et des valeurs des cadres à partir de terrains ou de scènes diverses qu’il s’agisse de l’entreprise ou d’autres contextes comme le rapport des cadres à l’univers sociopolitique ou à certaines des grandes métropoles urbaines implantées en Europe. Dans ces contextes seront évoqués, avec plus d’insistance, des traits qui typent aujourd’hui l’état des représentations et des valeurs des cadres. Il en est ainsi du rapport à certains principes majeurs - la justice, la loyauté - ou de thèmes découlant plus directement du statut du cadre - l’autonomie, les trajectoires et les valeurs liées à « la carrière » -. Et de même, de traits issus de domaines divers - l’action collective, l’habitat - ou de registres relevant de l’opinion, du vote (politique ou non) ou de représentations liées au marché. Enfin et afin de mieux étayer les questionnements qui se posent en l’occurrence, ces divers traits seront abordés à partir d’enquêtes de terrain importantes (tant du point de vue des échantillons que de leur durée), d’expériences de recherches s’étendant dans le temps ou d’approches empiriques relevant de comparaisons internationales et concernant plusieurs pays européens ou nord-américains." (Charles Gadéa, André Grelon et Sophie Pochic)
]]>Entreprise, travail et représentations. Introduction à la première table ronde, Anousheh Karvar – p.7